Pour une école des langues classiques

par Paul Veyne  Du même auteur

Pourquoi maintenir le latin dans l’enseignement secondaire ? Pour pouvoir lire dans leur langue les grands auteurs, Lucrèce, Virgile, Tacite ? Mais peu de grands écrivains ont autant de lecteurs que Tolstoï ou Tchekhov, or combien de Français savent le russe ? Et jamais aucun lycéen ne lira Virgile dans le texte, à moins de ne plus apprendre l’anglais et de faire en classe quinze ou vingt heures de latin par semaine, en rédigeant des dissertations en latin et en composant des vers latins (oui, des hexamètres, des pentamètres même !), comme firent Baudelaire et Rimbaud, qui, collégiens, eurent le prix de vers latins au Concours général. On me dira que faire du latin apprend à mieux savoir le français. C’est l’inverse qui est vrai. Lorsque l’on sait ce que sont une rose ou un principe, on comprend rosa ou principium. Et surtout, l’étude grammaticale du français, l’« analyse logique », comme on l’appelait, pré parait à assimiler plus tard les détours de la grammaire latine, en enseignant, à la fin du primaire, ce que sont une épithète, un attribut, un discours indirect, une subordonnée de but.

Bref, je partage l’opinion de Raymond Aron, qui me disait, vers 1975, qu’il fallait en finir avec la question du latin : « L’important est qu’à chaque génération il y ait une cinquantaine de spécialistes qui refassent les traductions et qui écrivent des livres sur l’Antiquité classique. »

Alors, voici le projet que je soumets à nos augures : sur le modèle de notre École nationale des langues orientales (aujourd’hui l’inalco) vivantes, fondons une École des langues classiques mortes, à savoir, inséparablement, le latin et le grec. Ceux qui en sortiront feront carrière au cnrs. L’expérience prouve qu’un bachelier qui a la vocation apprend, en trois ou quatre ans, le japonais ou le touareg. Nous aurons ainsi nos cinquante spécialistes générationnels de latin-grec.